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« La Déposition », ou le calvaire d’un adolescent agressé sexuellement par un prêtre

L’AVIS DU « MONDE  » – À NE PAS MANQUER
C’est un document exceptionnel, tant dans sa forme que dans son contenu, qui arrive en salle : La Déposition, de Claudia Marschal, présenté au festival de Locarno, relate l’agression sexuelle dont a été victime à l’adolescence son cousin Emmanuel Siess, né en 1980 (leurs mères sont sœurs). Durant l’été 1993, à l’âge de 13 ans, Emmanuel dit avoir subi des attouchements de la part du curé Hubert (son nom de famille n’est pas cité dans le film), lequel officiait dans le village alsacien où l’enfant vivait avec sa famille. La maison se situait en face de l’église. A l’époque, Emmanuel avait rapporté les faits à ses parents, qui n’avaient pas réagi.
Passionnant dans son montage, le récit se construit essentiellement autour de la déposition qu’Emmanuel Siess a faite à la gendarmerie, le 2 décembre 2021, enregistrant l’entretien à l’insu de l’adjudant – détail important qui a conditionné toute l’architecture du film.
Lors de ce rendez-vous, l’adjudant se montre exemplaire. Il est très attentionné dans sa manière d’accueillir la parole d’Emmanuel, insiste pour obtenir des informations précises, intimes, afin de caractériser les faits – y a-t-il eu pénétration ou pas ? Le prêtre l’a-t-il masturbé ? Au point que les autorités (la gendarmerie, la procureure de la République de Mulhouse, Edwige Roux-Morizot), sollicitées par la réalisatrice, ont accepté que l’enregistrement figure dans le documentaire. C’est donc la voix de l’adjudant, et non celle d’un acteur que l’on entend dans La Déposition.
Mais comment habiller visuellement ce document sonore ? La réalisatrice, formée à l’école documentaire de Lussas (Ardèche), assume une part de mise en scène : elle a voulu rejouer la scène où Emmanuel est accueilli à la gendarmerie. Elle le filme dans le couloir, puis dans le bureau de l’adjudant, lequel apparaît brièvement à l’écran. Puis la caméra sort du bâtiment, annonçant qu’un autre dispositif va prendre le relais.
Habilement, ce deuxième acte consiste à dilater le moment de la déposition. Tandis qu’Emmanuel répond aux questions et déroule sa vie, toute une palette d’images (tournées en super-8, au téléphone portable, en plan fixe…) envoie des flashs mémoriels ou renseigne sur le présent : la foi d’Emmanuel, sa communion solennelle, son nouveau baptême au sein d’une Eglise protestante évangélique, etc.
Ce matériau, couplé au dépôt de plainte, crée une archive parlante, rythmée par le cliquetis du clavier de l’adjudant. On saisit la popularité dont jouissait le prêtre à l’époque des faits. Il était jeune, jouait de la guitare… Les parents d’Emmanuel tenaient un restaurant, étaient débordés. Emmanuel avait peu d’amis, passait le plus clair de son temps avec le curé qui savait l’écouter et le réconforter.
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